Dalembert (Jean le Rond), géomètre et littérateur, né à Paris le 16 novembre 1717, mort le 29 octobre 1783. Enfant naturel du chevalier Destouches-Canon et de Mme de Tencin, il fut trouvé sur les marches de l'église Saint-Jean-le-Rond, et élevé par la femme d'un vitrier, demeurant rue Michel-le-Comte ; il passa une grande partie de sa vie avec cette pauvre femme qu'il regarda toujours comme sa véritable mère. Dès l'âge de 4 ans il fut mis dans une pension dont il sortit à [567] douze ; il entra alors au collège Mazarin où il eut des succès et où il resta jusqu'à 17 ans. Il se fit recevoir avocat ; mais le goût qu'il avait pour la géométrie se fortifiant de jour en jour, il s'y livra avec passion. En 1741, il fut reçu à l'Académie des sciences ; deux ans après il publia son Traité de dynamique ; cinq ans plus tard il fut couronné par l'Académie de Berlin pour un ouvrage sur la Théorie générale des Vents ; elle le nomma par acclamation l'un de ses membres. Il publia ce traité au moment où Frédéric II, roi de Prusse, venait de gagner trois batailles sur les Autrichiens et de conclure la paix. Dalembert dédia son ouvrage au héros de la Prusse, qui, très satisfait d'une dédicace flatteuse, lui offrit la place de président de l'Académie de Berlin, alors occupée par Maupertuis malade. Dalembert refusa, ne voulant point succéder à Maupertuis de son vivant. Frédéric lui donna une pension de 1,200 livres, en l'accompagnant d'une lettre qui témoignait de son estime.
Membre de l'Académie française en 1754, de l'Institut de Bologne, 1755, pensionnaire surnuméraire de l'Académie des sciences, etc. il reçut une pension de Louis XV. En 1762, l'impératrice de Russie, Catherine II, lui offrit 100,000 livres de rente pour se charger de l'éducation du grand-duc de Russie, son fils. Dalembert refusa ; Catherine insista de la manière la plus pressante et la plus flatteuse ; cette lettre ayant été communiquée à l'Académie française, il fut arrêté qu'elle serait insérée dans les registres comme un honneur aux lettres. Il préférait à tout sa vie modeste et l'amitié de Mlle de Lespinasse, à laquelle il fut attaché plus de vingt ans, et dont la mort lui causa une profonde douleur. Sa vie laborieuse fut partagée entre ses travaux scientifiques et ses études philosophiques. En 1749, il avait résolu le problème de la précession des équinoxes, et s'était montré le digne successeur de Newton. Son Traité sur la résistance des fluides, en 1752, renferme une foule d'idées originales et neuves ; il perfectionna la méthode de Jean Bernouilli sur le calcul intégral, et il composa de 1754 à 1756 ses Recherches sur différents points importants du système du monde. Il discuta plusieurs de ses opinions avec Euler et Clairaut surtout ; et souvent la lumière jaillit de ces discussions, qui ne furent pas toujours exemptes de vivacité. Il s'associa à son ami Diderot pour la publication de l'Encyclopédie (V. ce mot), 1751-1772 ; il en écrivit le Discours préliminaire, vaste tableau, d'une science et d'une clarté remarquables, où il traçait le développement de l'esprit humain et la marche des sciences depuis leur renouvellement, avec l'indication des progrès qu'elles devaient espérer. Il composa pour le Dictionnaire un grand nombre d'articles scientifiques et littéraires. L'un de ces articles sur Genève souleva une dispute entre lui et J.-J. Rousseau, qui écrivit alors sa Lettre sur les spectacles. Dalembert fit aussi une traduction de quelques morceaux choisis de Tacite, un Essai sur les gens de lettres, un ouvrage sur la Destruction des jésuites, 1775 ; cette histoire fut impartiale, et malgré cela lui mérita des ennemis, lui attira des libelles et la haine des deux partis, ce qui parut prouver la vérité de ses accusations. Dalembert ne répondit point à ces libelles ; cet ouvrage lui valut aussi le mécontentement du ministre qui lui refusa pendant plus de six mois la pension laissée vacante par la mort de Clairaut. Dalembert publia encore des Mémoires sur Christine de Suède, et des Mélanges de philosophie, d'histoire et de littérature. En 1759, dans ses Eléments de philosophie, il développa les premiers principes et la véritable méthode des différentes sciences. On doit donc compte à Dalembert des services qu'il a rendus à la philosophie, aux mathématiques, à la géométrie ; ces ouvrages furent ceux auxquels il attacha le plus d'importance, parce qu'il trouvait qu'il n'y avait de réel que ces vérités. Cependant il écrivit encore un livre sur les Eléments de musique.
En 1772, Dalembert fut nommé secrétaire de l'Académie française ; il ne négligea pas, comme ses prédécesseurs, l'histoire de cette compagnie ; il écrivit la vie de tous les académiciens morts depuis 1700 jusqu'en 1772 ; cet ouvrage est un livre précieux pour les hommes qui aiment la vérité et la philosophie. Sa liaison avec Voltaire fut constante et produisit entre ces deux écrivains remarquables une longue et bien curieuse correspondance. Dalembert était d'une constitution faible ; l'éloignement de tout excès et sa sobriété ne le préservèrent pas des infirmités d'une vieillesse prématurée. Le travail et la conversation étaient ses seuls plaisirs, et malgré son apparente faiblesse, il perfectionnait son histoire de l'Académie et discutait des points de mathématiques. Son ouvrage ne l'abandonna point au moment de quitter la vie. Dans ses derniers jours, entouré de nombreux amis, prenant part à leur conversation, l'animant par sa gaieté, lui seul était calme et tranquille. Il mourut à l'âge de 66 ans, au Louvre qu'il était venu habiter depuis la mort de Mlle de Lespinasse. Sa solitude et son isolement lui avaient pesé, et le vide que lui avait laissé la perte de son amie les lui rendaient encore plus pénibles. - Les Oeuvres littéraires de Dalembert ont été publiées en 18 vol. in-8°, 1805, et en 5 vol. in-8°, 1821. Ses Oeuvres scientifiques n'ont pas été réunies. Outre les livres que nous avons indiqués, on doit rappeler Tabularum lunarium emendatio, 1756, in-4° ; Opuscules mathématiques, 8 vol., in-4° ; etc.