Les Œuvres complètes de D'Alembert (1717-1783)
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Sur le calendrier des présences de D'Alembert
à l'Académie royale des sciences de Paris
et à l'Académie française

par Marie Jabob et Irène Passeron,
le 20 novembre 2006

Le calendrier ci-joint précise séance par séance la présence de Jean le Rond D'Alembert à l'Académie des sciences et à l'Académie française. Il a été élu à l'Académie des sciences le 13 mai 1741 et le 28 novembre 1754 à l'Académie française dont il est devenu le secrétaire perpétuel le 9 avril 1772. Il meurt le 29 octobre 1783. Le calendrier couvre donc les années 1741 à 1783.

Nous donnons ci-dessous trois types d'information : comment le calendrier a été établi, des précisions sur le fonctionnement des académies, enfin quelques éléments d'analyse des renseignements issus du calendrier.

Etablissement du calendrier

Il est plus aisé de relever les présences aux séances des membres de l'Académie française que celles des membres de l'Académie des Sciences de Paris : il existe un registre imprimé des séances de l'Académie française, imprimé en un volume pour la période qui nous intéresse, et donc rapide à dépouiller, mais nous n'avons pas d'équivalent pour l'Académie des sciences, où nous ne disposons que des registres manuscrits des procès verbaux, reproduits en de grands registres annuels, et des notes du secrétaire perpétuel appelé plumitif de séance.

Il y a un plumitif par année, que l'on trouve, lorsqu'il a été conservé, aux archives de l'Académie des sciences, dans la pochette annuelle. Un copiste retranscrivait ce plumitif et les mémoires lus ou déposés dans les procès verbaux (PV), d'où des erreurs de transcription en particulier sur les noms propres et les termes techniques. De ce point de vue les plumitifs sont plus fiables que les PV, documents pourtant plus officiels que les plumitifs. De plus certaines indications, querelles théoriques ou différents à propos du fonctionnement de l'Académie des sciences ne figurent que dans les plumitifs.

Il peut ne pas y avoir de plumitif, il peut y en avoir deux, l'un contenant plus d'information: par exemple, le plumitif de Lavoisier pour la séance du 11 mars 1775 contient un schéma de la lentille optique évoquée en séance par de Bernières. Certaines années, surtout au début du secrétariat officiel de Condorcet (août 1776) les plumitifs sont lacunaires et les PV aussi.

Le registre annuel manuscrit des PV se présente sous forme d'un volume de cinq cents pages environ, plus ou moins bien écrites. Ces registres sont consultables en ligne sur le site Gallica de la BnF (mot clé de recherche : procès verbaux manuscrit Académie). Certaines années la pagination des PV n'a été faite que pour les pages recto, c'est pourquoi la numérisation indique deux pages pour un même numéro. De plus pour les cinq années 1751, 1753, 1760, 1770, 1774 les registres n'ont pas été numérisés car trop peu lisibles. Les originaux sont conservés aux archives de l'Académie des sciences.

La liste de présence des académiciens à chaque séance est la même dans les plumitifs et dans les PV. Pour dresser le calendrier nous avons recoupé les plumitifs et les PV de 1741 à 1783, en parcourant le compte rendu des séances. En effet, il arrive que D'Alembert ne figure pas dans la liste des présents qui débute le procès verbal de la séance, mais qu'au cours de la séance on trouve: « M. D'Alembert a lu » ou « M. D'Alembert a présenté un mémoire » etc.… ce qui prouve sa présence à un certain moment de la séance. Il s'agit sans doute d'une arrivée tardive qui prive l'académicien de son « jeton », puisqu'au-delà d'un quart d'heure (dit quart d'heure académique) la présence n'était plus comptabilisée et le jeton de présence n'est plus accordée. Dans un tel cas nous avons noté D'Alembert comme présent dans notre calendrier, il en est ainsi pour la séance du 4 décembre 1762, où l'arrivée stimulante de D'Alembert est commentée par Clairaut dans une lettre à Daniel Bernoulli[1].

Fonctionnement des académies
Académie royale des sciences

Avant la révolution, l'Académie Royale des Sciences, désormais ARS, réunissait ses membres deux fois par semaine, généralement les après-midi du mercredi et du samedi de 15 à 17 heures. Elle respectait les fêtes religieuses en ne tenant pas séance la semaine sainte (avant Pâques), ni avant la Pentecôte. C'est la raison pour la quelle nous indiquons pour chaque année la date des fêtes religieuses mobiles.

On compte entre soixante–treize et soixante-dix-neuf séances annuelles. Soit environ trente-six semaines de séances sur les cinquante deux d'une année. L'Académie prenait des vacances de la deuxième semaine de septembre, jusqu'à la Saint-Martin (le 11 novembre).

Les reprises après Pâques et la Saint-Martin donnaient lieu à des séances publiques, alors qu'ordinairement les travaux de l'Académie ne se déroulaient qu'en présence des seuls académiciens. Exceptionnellement certains dignitaires ou des souverains étrangers étaient reçus, tel le roi de Suède le 7 mars 1771 ou le margrave de Bade le 6 septembre de la même année; et ce fût l'occasion pour D'Alembert de prononcer un discours retranscrit dans les Mémoires de l'Académie de l'année. Des visiteurs étrangers étaient parfois admis aux séances ordinaires.

Les auteurs de mémoires étrangers à cette Académie venaient quelque fois présenter en personne leurs travaux et les lire à l'assemblée, ainsi, "M. Fyot est entré et a présenté un mémoire de géométrie qu'on a remis à MM. D'Alembert et Duséjour pour examen" (procès-verbal de la séance du 18/11/1767). La présentation par l'auteur devient plus fréquente dans la seconde moitié du XVIIIe siècle, particulièrement pour les démonstrations de machines.

Lors de la séance publique de printemps, on faisait à partir de 1720 les annonces relatives aux prix, où il s'agissait de désigner les lauréats de l'année et de donner l'intitulé du prix suivant. Ce prix fut crée grâce au legs de Rouillé de Meslay[2] ; Ces annonces étaient diffusées grâce aux journaux (Mercure de France, Journal des Savants, Journal Encyclopédique, Gazette de France…). D'Alembert rédigea le projet de programme[3] du prix de 1766 auquel le secrétaire perpétuel, Grandjean de Fouchy « donna la forme nécessaire pour l'impression » et en 1773 lut la proclamation du prix.

La dernière séance de septembre donnait souvent lieu à la présentation d'un grand nombre de mémoire des académiciens qui désiraient prendre date avant les vacances.

Académie française

L'Académie française, AF en abrégé, avait trois séances hebdomadaires, les lundi, jeudi et samedi après-midi. D'Alembert ne pouvait être simultanément aux deux académies, et l'on voit que le samedi il assistait de préférence à la séance de l'Académie française. Cependant les salles des réunions de deux académies n'étant pas très éloignées, il se peut fort bien que D'Alembert allât quelquefois d'une séance à l'autre.

Le temps de présence demandé est plus important à l'AF qu'à l'ARS. C'est pourquoi les membres de l'Académie française sont moins assidus que leurs homologues scientifiques et D'Alembert se trouve quelquefois avec moins d'une dizaine d'immortels en séance. Mais le quorum est toujours atteint pour les décisions importantes.

L'AF n'aura des vacances comme l'ARS qu'à partir de 1775.

Le matin du 25 août, à la Saint-Louis, les deux académies donnaient conjointement une messe en l'honneur du roi. A la différence de l'ARS, l'AF indiquait toujours les présents à la messe et à la séance qu'elle tenait l'après-midi. Lors du décès de l'un des leurs, les académiciens faisaient aussi dire une messe (sauf pour Voltaire, malgré l'insistance de D'Alembert) à laquelle assistait la Compagnie. La présence de D'Alembert à ses messes n'était pas systématique. Il semble qu'il n'assistait à l'office que lorsqu'il avait une certaine sympathie pour le défunt. Ainsi il assiste à l'office dit à l'occasion du décès de Maupertuis le 13 août 1759, mais pas au Te Deum du mercredi 24 novembre 1751 donné conjointement avec l'Académie des Inscriptions, qui coûtât 15£. à chaque académicien scientifique (cf. PV 1751 p. 573).

Eléments d'analyse
Doubles présences

Tentons de fournir quelques explications aux doubles présences de D'Alembert où il apparaît simultanément sur la liste des présents à l'ARS et à l'AF. Nous avons relevé cinquante-deux occurrences. Dans 20 cas[4], il s'agit de messes données simultanément par les deux académies en particulier pour la Saint-Louis, le 25 août.

Lorsque des élections à l'ARS avaient lieu en même temps qu'une séance à l'AF, D'Alembert participait néanmoins à cette élection[5]. Pour l'élection de Condorcet à une place de pensionnaire le 15/12/1770 le nom de D'Alembert est même souligné dans le plumitif et dans les procès verbaux. Concrètement on peut supposer que l'élection avait lieu en début de séance à l'ARS et que son vote effectué, D'Alembert regagnait la séance de l'AF. Ce déplacement était d'autant plus facile qu'à partir du 3 février1755, le début des séances à l'AF est reculé d'une demi-heure, et passe de 15 heures[6] à 15h 30, sans compter le quart d'heure académique.

Il arrive aussi que D'Alembert ne figure pas parmi la liste des présents et que le PV de la séance mentionne néanmoins « M. D'Alembert a lu... ». Nous supposons alors qu'il est arrivé en retard et nous l'indiquons comme présent dans le calendrier (par exemple au 10 mars 1742).

Parmi les seize dates restantes, une possède une explication simple : le 3/12/1768 les académies ont reçu conjointement le roi du Danemark. Le 19/11/1768, D'Alembert présente à l'ARS le cinquième volume de ces opuscules avant d'aller à l'AF (cf. PV 1768 p.220). Le 2/12/1775, D'Alembert demande le dépôt à l'ARS d'un paquet cacheté précisant une expérience propre à faire connaître la qualité des blés (PV p.274). Le 21/08/1779, on présente à l'ARS un portrait de Linné (PV p.256) pour lequel D'Alembert se faisait peut-être un devoir d'être là, ayant pour correspondant le Suédois Mélander et un intérêt pour la Suède. Le 5/02/1780 on présente une méthode d'enseignement de l'abbé Charrier, que D'Alembert doit examiner (PV p.23) : sans doute sa présence n'est-elle par étrangère aux prises de position polémiques sur l'éducation que l'encyclopédiste n'a cessé d'affirmer depuis l'article Collège. Les sept dernières dates n'ont pas d'explication immédiate et nécessitent des investigations plus poussées[7].

Ratio des présences

Nous avons établi un histogramme qui donne année par année le pourcentage de séances auxquelles a assisté D'Alembert par rapport au nombre total de séances de l'ARS.
L'histogramme est inutile pour l'autre Académie, D'Alembert y étant très rarement absent, en effet dès 1756 il est en quelque sorte secrétaire adjoint de Duclos[8].

Le pourcentage varie entre 18% et 100%.

D'Alembert a assisté à toutes les séances de l'ARS en 1741 et 1769. Il s'agit pour 1741 des quelques mois qui ont suivi son élection à cette Académie ; en 1769 il occupe la fonction de directeur et se doit d'être présent : cette tâche l'occupe tant qu'il ne publie rien.

Sa présence minimum est 1763, année où D'Alembert séjourne trois mois à Berlin à la cour de Frédéric II, et si on ne tient pas compte des mois d'absence pour cette année là le ratio devient de 29,2%. De plus, cette année–là D'Alembert ne publie rien[9].

Avant 1754, l'année de son élection à l'AF, la présence moyenne à l'ARS est de 65%, après elle tombe à 52,4%, D'Alembert n'assiste plus qu'à une séance sur deux, ce qui était prévisible vu le chevauchement des séances du samedi.

Il apparaît alors que l'année 1751 avec 50,6% marque un déficit net par rapport à cette moyenne de 65% et dans une mesure moindre 1750 avec 57,9%. On constate beaucoup d'absence fin mai-début juin 1751, soit juste avant la parution du premier tome de l'encyclopédie le 28 juin, ce qui n'est guère étonnant...

L'année 1755 marque aussi un déficit important par rapport à la moyenne (37,7% vis-à-vis de 52,4%). En juin D'Alembert n'assista à aucune séance de ARS et une seule de d'AF (le 7 juin) mais il passa, de nouveau, quelques jours auprès de Frédéric II, en juin-juillet. En 1756, D'Alembert voyage encore: il va à Genève via Lyon et il est absent des académies du 20 juillet inclus au 17 septembre inclus[10]. Le 20 juillet il est en effet dans la diligence de Lyon[11] où il reste deux semaines. Il arrive à Genève le 11 août et en repart le 30.

1770 est l'année de son « voyage d'Italie manqué », qui ne dépassa pas Genève et Montpellier[12]. En dehors de ces petits voyages, D'Alembert ne quitta pas Paris.

Ce calendrier est donc un outil fiable synthétisant de nombreuses remarques et pointages. Il est une aide aux recherches sur D'Alembert et également une source potentielle : ainsi la présence à l'ARS un samedi peut être un indice de l'importance qu'accorde le savant à un sujet traité ce jour là, puisqu'il ne délaissait pas couramment l'AF après 1756.

Plus largement ce calendrier permet de connaître les dates des séances des deux académies, ce qui peut être nécessaire à toute personne travaillant sur les Académies au XVIIIe siècle, et plus simplement encore, il permet de savoir en quel(s) mois on trouve un dimanche 19, question que tout amateur de correspondance du XVIIIe siècle est un jour amené à se poser...


[1] Cf. Histoire et mémoire de l'Académie des sciences, guide des Recherches, Tec & doc, Paris, 1996, p. 344.
[2] Pour plus de précisions cf. E Maindron, Les fondations de prix à l'Académie, Paris, 1881.
[3] Voir Plumitif année 1766, séance du 2 juillet.
[4] C'est le cas pour les années 58, 64, 67, 68, 71, 72, 73, 74, 75, 77, 78, 81. Pour les années 43, 45, 47, 49, 50 il y a une liste de présence à l'ARS sur laquelle D'Alembert figure, pour les autres il n'y a pas de liste.
[5] C'est le cas, les 22 et 28/05/65, le 6/07/1765, le 15/12/1770, le 2/05/1772, le 20/03/1773, le 24/07/1776, le 15/04/1780, le 17/05/1781.
[6] Voir le registre des séances de l'AF à cette date.
[7] 29/11/1758, 8/04/1769, 16/11/1771, 8/03/1772, 6/05/1775, 28/07/1781, 11/08/1781.
[8] Voir la lettre de Trublet à Maupertuis du 13/09/1756, le secrétaire en titre de l'AF Duclos attend D'Alembert pour partir en vacances et "lui remettre les fonctions de secrétaire".(Source E. Badinter, Les passions intellectuelles, tome II, p. 223).
[9] Voir la liste chronologique des ouvrages imprimés avec le mois de parution en ligne sur ce site.
[10] Voir la Chronologie de D'Alembert bientôt en ligne sur le site.
[11] Voir lettre de Thierot à Voltaire du 10/07/1756.
[12] Voir l'article d'Anne-Marie Chouillet et Pierre Crépel « un voyage d'Italie manqué ou trois encyclopédistes réunis » dans Recherches sur Diderot et sur l'Encyclopédie n° 17, octobre 1994, p. 9-53.
 
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