Il est bon, de temps à autre, de faire le point sur une édition dune cinquantaine de volumes, impliquant une trentaine de personnes, et touchant à peu près à tous les aspects du XVIIIe siècle.
Rappelons que cette édition, suite à des compromis chronologico-thématiques douloureux, se composera des cinq séries suivantes, comportant chacune une bonne dizaine de volumes (CNRS-Editions) :
On en trouvera des présentations, avec toutes les références, notamment sur le site de lédition : http://dalembert.univ-lyon1.fr
Bien que les travaux préparatoires (inventaires, décisions éditoriales, répartition des contributeurs, etc.) ne soient jamais terminés, ils sont néanmoins suffisamment avancés pour que lédition soit passée depuis 2002 dans une nouvelle phase : celle de la sortie des volumes !
Les deux volumes arrivés en tête concernent lastronomie. Le volume I/6, Premiers textes de mécanique céleste (1747-1749), établi par Michelle Chapront-Touzé, de lObservatoire de Paris, est sorti en librairie en novembre 2002. Le second, volume I/7, Précession et nutation (1749-1752), établi par la même astronome et par Jean Souchay, a été remis à CNRS-Editions en ce mois de juillet et devrait donc paraître rapidement. Le premier est constitué essentiellement dinédits autonomes, dont une importante théorie de la Lune, qui semblait oubliée des chercheurs. Le coeur du second est au contraire un ouvrage unique de 1749, alors bien diffusé, mais jamais réédité : Recherches sur la précession des équinoxes et sur la nutation de laxe de la Terre. Il sagit de deux livres difficiles, quun scientifique daujourdhui ne pourrait lire et comprendre sans explications et sans mise en contexte. Dans les deux cas, ce sont des éditions critiques et commentées, suivant un cahier des charges exigeant, avec introductions générales denviron cent pages, tables analytiques, variantes, instruments de travail divers, annotations abondantes. Ils servent sinon de « modèles », du moins dexemples de base pour les autres volumes scientifiques, cest-à-dire ceux des séries I et III.
On pourrait dire que le volume I/7 respecte la règle des trois unités : de lieu (il sagit dun livre publié par lauteur), de temps (il est écrit rapidement en une fois) et daction (cest un sujet précis de mécanique céleste). Le volume I-6 ne satisfait quaux deux dernières unités, puisquil se compose dun regroupement factice de mémoires soit inédits, soit parus dans des volumes académiques différents. Malgré les efforts du comité dédition pour suivre les préceptes de lArt poétique de Boileau, tous les cas existent ici. En particulier, dans la seconde moitié de sa vie, DAlembert a principalement fait connaître ses recherches sous la forme dOpuscules mathématiques, cest-à-dire de recueils hétéroclites de mémoires ou de bouts de mémoires, ajouts, appendices et notes sur différents sujets (mécanique, astronomie, fluides, probabilités, optique, mathématiques pures ...) : on jouit alors dune unité de lieu, voire de temps, mais certainement pas daction. Les volumes dont létat davancement actuel est le plus encourageant sont les volume III/1 (coordonné par lauteur de ces lignes), III/4 (par Guillaume Jouve), III/8 (par Alexandre Guilbaud). Mais tous doivent être menés de front pour des raisons intrinsèques à la façon de travailler de DAlembert et nécessitent la coopération de cinq à dix chercheurs spécialistes des questions traitées. Le plus prudent est de ne pas donner de dates de parution, mais on peut au moins dire quune version complète de travail, présentée et annotée, circule à lintérieur du groupe pour le volume III/1, où on est donc au stade des améliorations et relectures.
Avant cela, le volume I/4, consacré aux grands mémoires de calcul intégral des années quarante et du début des années cinquante et « a cura di Christian Gilain » en est aux finitions et devrait être déposé bientôt à CNRS Editions. Divers autres volumes peuvent avancer plus vite (ou moins vite) que prévu ... : Ainsi le volume III/11, consacré aux relations de DAlembert avec les académies scientifiques, en particulier à ses rapports de commissaire à lAcadémie des sciences, ainsi quà ses tentatives malheureuses de réformes de cette institution. Dans ce cas, on peut admettre une certaine unité de lieu (lAcadémie), mais ni de temps ni daction, puisque le volume sétend de sa prime jeunesse à sa mort et traite de tous les sujets possibles et imaginables.
Les lecteurs du Bulletin, qui doivent être littéraires à 90%, souhaiteraient certainement que je passe plus vite aux séries II, IV et V. Voici. Un premier inventaire de la correspondance active et passive de DAlembert avait été établi par John Pappas (SVEC 245, 1986 et 267, 1989) ; mais on retrouve de nouvelles lettres, on constate des doublons, par exemple entre des lettres imprimées ou des manuscrits identiques portant des dates différentes, de nouvelles datations sont établies (beaucoup de lettres de DAlembert étaient non datées). Et quand on passe au moment de lédition des lettres (de et à DAlembert), on voit apparaître de nouvelles exigences dont les premiers dépouillements pouvaient se dispenser. De la même façon que lédition de chaque volume suppose une vue densemble de l« uvre » et de ce que nous considérions comme tel, un inventaire de tous les textes, il fallait ici définir un corpus de « lettres » et les règles de sa description. Une définition plus précise des différents « genres » de lettres, du plus privé au plus public a ainsi été proposé, et le lecteur saura sil doit chercher une « lettre » dans la correspondance ou dans les autres séries. Une description précise des sources et des imprimés lui permet également daccéder à cette correspondance mal connue. Le nouvel inventaire (volume V/1), totalement repris à linitiative dAnne-Marie Chouillet, puis dIrène Passeron et de Jean-Daniel Candaux, comprend en particulier des résumés des quelque 2200 lettres dont une trace matérielle a été retrouvée ; il en est à la dernière étape des relectures et devrait être déposé chez léditeur dans quelques mois. Des prototypes circulent pour lédition annotée de la correspondance elle-même (volume V/2 et suivants).
Jusquà une date récente, nous navions pas vraiment de politique éditoriale pour la série IV. En effet, ce sont des scientifiques qui sont à lorigine de lentreprise et lurgence était dailleurs déditer proprement, et de façon compréhensible, les travaux scientifiques de DAlembert, dont pratiquement aucun navait fait lobjet de rééditions. Les textes plus littéraires, historiques et philosophiques de lauteur sont, au moins grossièrement, accessibles, par exemple par les éditions des « Oeuvres » du XIXe siècle (Bastien : 1805, Belin : 1821-1822). On sait que DAlembert a publié les mêmes choses plusieurs fois en les modifiant, mais aussi en les recyclant partiellement et en les mélangeant, et que ces oeuvres ont fait lobjet de débats compliqués. Les décisions éditoriales, jamais simples, létaient ici encore moins. Nous reviendrons ultérieurement sur ce point une fois quelles seront complètement arrêtées ; disons seulement que les recherches sont lancées, quun groupe de travail se met en place principalement à Lyon, en particulier autour des volumes suivants, aux titres provisoires : Traductions de Tacite, par Catherine Volpilhac-Auger Eloges et Histoire de lAcadémie française, par Olivier Ferret Destruction des jésuites, par Henri Duranton Elémens de philosophie et autres écrits, par Véronique Le Ru
Le travail dédition débouche non seulement sur les volumes des O.C. et ultérieurement sur des publications électroniques, dont le site va donner au fur et à mesure une préfiguration, mais il permet des études sur DAlembert, son environnement, son siècle, ses amis et adversaires, la science de son temps ... Il a déjà été question dans ce Bulletin de certaines de ces activités, nous nous contenterons ici dévoquer le numéro 38 de la revue Recherches sur Diderot et sur lEncyclopédie (avril 2005), entièrement consacré à « La formation de DAlembert, 1730-1738 ». Ceci est le résultat dun colloque organisé à Lille en septembre 2003 par François De Gandt, Alain Firode et Jeanne Peiffer. Ce recueil traite en particulier du Collège Mazarin (des Quatre-Nations) et des querelles jansénistes qui y sont liées, des enseignements suivis par DAlembert (Caron, Gibert, Geffroy), de ses premières lectures notamment mathématiques (Varignon, Guisnée, Reyneau, Newton ...). Il sagit dun ensemble de plus de deux cents pages qui renouvelle grandement le sujet, jusque là abordé par bribes : il sera à la base du volume I/1 de lédition.
Nous terminerons cette brève revue en élargissant une nouvelle fois le cercle et en évoquant spécialement les initiatives portant sur des contemporains de DAlembert. Les éditeurs participent évidemment à diverses recherches plus générales dhistoire des sciences ou des idées qui touchent à DAlembert : sur lEncyclopédie, lhistoire de la mécanique ou des mathématiques, etc. Nous explorons aussi de façon assidue, sinon systématique, les personnages, notamment les savants, souvent moins connus, qui ont été en contact étroit avec DAlembert, et nous menons en général ces activités en liaison avec des collectivités territoriales, des sociétés dhistoire locale ou des institutions intéressées, en particulier en Rhône-Alpes. Cest ainsi que nous avons organisé des colloques sur Bossut (Tartaras et Rive-de-Gier, Loire), les « ennemis de DAlembert » (Trévoux), Montucla (Collège de la Trinité devenu Lycée Ampère, Lyon), Lalande (Bourg-en-Bresse), Bourgelat (Ecole vétérinaire de Lyon), Fontaine (Cuiseaux, Saône-et-Loire). Les actes nen sont pas nécessairement publiés, mais des articles en sont issus. Un colloque préparé par Jeanne Peiffer sur labbé de Gua de Malves devrait avoir lieu à lautomne 2006 ; nous travaillons également à une initiative sur H. de Ratte (Montpellier). Signalons dans le même ordre didées la thèse de Liliane Alfonsi, qui sera bientôt soutenue, sur Bézout.